Ecrans barbares : le chemin de la régression

L’addiction aux écrans et la nocivité des contenus accessibles à la jeunesse, font partie, comme le déficit budgétaire, de ces tristes réalités connues d’à peu près tout le monde sans que cela n’entraîne d’autre action publique que de vagues appels à la modération.

L’excellent reportage de Jeff Orlowski « Derrière nos écrans de fumée », produit et diffusé par Netflix, a eu cette année le grand mérite de vulgariser une critique virulente des réseaux sociaux. Bien que n’apportant pas de grande révélation, la saveur et l’efficacité de ce docu-fiction tiennent notamment à ce qu’il donne la parole aux « repentis » de la Silicon Valley, ces jeunes gens qui créèrent Facebook, Twitter et consorts, avant de virer leur cutie et de déclarer, comme Chamath Palihapitiya, ex-dirigeant de Facebook : « les outils que nous avons créés sont en train de détruire la société. […] Je n’utilise plus cette merde et j’interdis à mes gosses d’utiliser cette merde. »

Pour nécessaire et salutaire qu’il soit, le visionnage de ce film ne permet pas de faire le tour de la question. En dénonçant les manipulations auxquelles se livrent les géants d’Internet sur les cerveaux des enfants, et en laissant entendre que les écrans ont été ainsi dévoyés de leur finalité première, il passe sous silence bon nombre de problèmes posés d’une manière plus fondamentale par ceux-ci.

Il faut, pour s’en convaincre, lire le brillant essai du sociologue Fabien Lebrun, « On achève bien les enfants » qui vient de paraître aux Editions Le Bord de l’Eau.

L’auteur discerne dans ces objets que sont les écrans (de télévision, de téléphone, d’ordinateur, de tablette) les véritables ordonnateurs de la vie des nouvelles générations. Et comment pourrait-il en être autrement puisque le jeune Occidental passe devant eux près de 6 heures 45 par jour, soit le tiers de son temps de veille ?  

Tenus littéralement captifs par leurs écrans, les ados leur ont sacrifié leur sommeil (qui a diminué de deux heures en une vingtaine d’années), leur activité physique (les trois quarts des adolescents passent moins d’une heure par jour en plein air), jusqu’à leurs relations avec le monde extérieur, à l’instar de ces hikikomori japonais qui vivent reclus dans leur appartement, n’ayant pour toute occupation que la télévision, les jeux vidéo et internet. Fabien Lebrun souligne que ces « marginaux » que l’on pourrait croire peu nombreux, sont tout de même près d’un million au Japon, et qu’une fraction considérable entre dans l’âge mûr sans avoir pour autant renoué avec le réel.

Les chiffres sont impitoyables. Ils attestent que les dégâts, loin d’être cantonnés à une minorité mal avisée, frappent une classe d’âge entière : 400 000 Français de 14 à 24 ans visionnent du porno plusieurs fois par jour, la banalisation du porno entraînant 6 000 jeunes filles de moins de 15 ans à se prostituer dans les écoles. Toujours en France, 700 000 enfants sont victimes de cyberharcèlement.

L’enquête de Fabien Lebrun nous emmène ensuite au Congo, où des milliers d’enfants sont exploités dans les mines ou massacrés par des chefs de guerre, pour fournir à l’industrie des écrans les métaux rares dont elle a besoin ; puis dans les cités-décharges du Ghana, où échouent les millions de tonnes de déchets électroniques que l’Occident n’a pas la décence de recycler sous ses propres latitudes.

Au terme du voyage, le lecteur entrevoit l’ampleur de l’offensive du capitalisme numérique contre l’enfance. Au Sud, les corps broyés et les vies brisées ; au Nord, la psyché infantile soumise à un grand dérèglement, à un grand conditionnement, prélude à une société de sujets automatisés. Un système où les hommes deviennent superflus et où la place est faite au règne de l’intelligence artificielle.

Comment ne pas trembler en songeant qu’aujourd’hui même, COVID aidant, à l’heure des Etats Généraux du Numérique pour l’Education (4 et 5 novembre 2020), l’Education Nationale a pourtant désigné « l’illectronisme » comme une tare à combattre et distribue massivement des tablettes à nos enfants…



1 Comment

  1. J’ai eu une idée, l’IA Anticapitaliste:
    Il s’agirait d’une ia capable d’additionner toutes les tâches de la sociétés, en supprimant ceux inutiles. Pen s’adaptant aux capacités de chacun de leur fournir des tâches. En tenant compte de l’avancée des technologies, la main d’œuvre « nécessaire » deviendrait très faible pour remplir les besoins de la population et on pourrait avancer sur des sujets urgents comme le climat avec toute la force de l’humanité.
    Je ne pense pas que la technologie soit une mauvaise chose, c’est l’utilisation qui en est faite et ça c’est les humains.

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