Face à l’IA générative, l’objection de conscience dans l’enseignement supérieur et la recherche


L’ Atelier d’Ecologie Politique vient de lancer un manifeste pour l’objection de conscience dans l’enseignement supérieur et la recherche, face à l’IA générative.

Ce manifeste a déjà été signé par 1640 signataires, principalement enseignants et chercheurs ; Il est cependant ouvert à la signature de tous ceux qui refusent l’IAg.

Ils ont également publié un document de mise en perspective critique des discours les plus courants en faveur de l’IAg

Extrait du manifeste :

Nous, membres de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et de l’éducation nationale (EN), déclarons adopter une posture d’objection de conscience face au déploiement des technologies d’IA générative[1] (IAg) dans nos institutions.

L’objection de conscience désigne le refus individuel, mais aussi collectif en tant qu’il est publiquement partagé, de prendre part à une activité que l’on perçoit comme incompatible avec des valeurs fondamentales.
Dans le cas présent, nous considérons que le déploiement de l’IAg dans les institutions de l’ESR et de l’EN est incompatible avec les valeurs de rationalité et d’humanisme que nous sommes censé·es représenter et diffuser.

Trois considérations majeures justifient cette position. Pour des raisons de concision, ce manifeste ne les développe pas mais on trouve dans la littérature scientifique de quoi les étayer solidement[2].

Considération 1.

L’IAg est un gouffre énergétique et matériel tel que personne ne peut prétendre qu’elle soit compatible avec les grands engagements internationaux tels que l’Accord de Paris sur le climat, et plus généralement avec la protection du vivant. Accepter le déploiement de l’IAg, c’est amplifier le dépassement des limites planétaires. Ceci est une attitude résolument anti-humaniste eu égard à la gravité de la situation. Le caractère écocidaire de l’IAg est en soi une raison suffisante pour en refuser le déploiement au sein de nos institutions.

Considération 2.

L’IAg représente un choix technologique qui agit comme un accélérateur des infrastructures industrielles sur lesquelles repose le secteur du numérique : mines, datacenters, centrales électriques, usines de matériel électronique, etc. Ainsi, outre les problèmes de pollution massive déjà évoqués, ce sont les lourds dégâts sociaux associés à ce système qui se voient renforcés : travail prolétarisé dans les usines de fabrication et ultraprolétarisé dans le « travail du clic », non-respect des droits humains, conflits d’usage (eau, métaux, énergie), rapports extractivistes et néo-coloniaux entre pays du Nord et du Sud, déstabilisation géopolitique des régions minières, etc. Dans tous ces domaines, la compétition effrénée à laquelle se livrent les acteurs de l’IAg mènera aux méthodes les plus sauvages et prédatrices. Il nous semble inacceptable de contribuer à une telle dynamique par nos pratiques pédagogiques et scientifiques.

Considération 3.

La banalisation des IAg dans le grand public alimente des usages qui ouvrent la voie à un futur dystopique – qui est, pour partie, déjà là : multiplication des vidéos deepfake, désinformation à grande échelle par des « usines à trolls », dépendance affective aux compagnies virtuelles, intensification du marketing digital et des escroqueries, etc. Plus généralement, il permet à des mégafirmes d’accumuler un pouvoir démiurgique, mégafirmes dont les dirigeants ne font pas mystère de leurs projets mégalomaniaques, eugénistes et de leur détestation de la démocratie. Nos institutions ne peuvent soutenir de telles techno-oligarchies, y compris de manière indirecte.

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2 Comments

  1. Bonjour,

    A mon humble avis, l’Intelligence Artificielle est le troisième fléau qui menace gravement l’humanité, après les « bruits de bottes » de plus en plus présents dans les médias pour nous préparer au déclenchement prochain de WW3, dont ils semblent vouloir qu’on se réjouisse, ainsi que le dérèglement climatique aux conséquences cataclysmiques qui ne font que s’intensifier, cela en l’absence de toute décision politique concrète voire courageuse pour tenter d\’y remédier, en dehors de quelques « mesurettes » purement cosmétiques et beaucoup de « Green Brainwashing » bruyamment éructé de COP en COP**.

    * Courage politique: probablement l’oxymore le plus abouti de tous…
    ** si seulement ce grand raout annuel parvenait déjà à compenser son propre impact carbone !

    Cordialement vôtre, Michel

  2. Le diagnostic posé par ce manifeste est irréfutable. Les coûts écologiques (Considération 1) et humains (Considération 2) sont le « plomb » de cette industrie, et il est vital de le nommer.

    Cependant, attention au piège de la pureté. L’objection de conscience est une position noble, mais c’est aussi une retraite. Si les enseignants, les chercheurs et les humanistes « objectent » et quittent le terrain de l’IA, qui reste aux manettes ? Il ne restera que les technophiles béats, les marchands et les cyniques. Nous risquons de laisser le monopole de la puissance technologique à ceux qui n’ont aucune conscience éthique.

    La vraie résistance n’est peut-être pas de refuser l’outil (ce qui nous marginalise), mais d’imposer une exigence radicale dans son usage. Ne pas subir. Ne pas « cliquer » aveuglément. Mais garder la main. C’est la voie de la Souveraineté plutôt que celle du Refus. Si la Conscience déserte la Science, Rabelais nous a prévenus de ce qui arrive ensuite : la ruine de l’âme.

    Restons présents. Tenons l’axe.

    Marc (Flynn)

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