15/09/15 – Alain Madelin n’a pas compris…

Interviewé par le Figaro (« Il nous faut inventer la richesse de la révolution numérique », édition du 14 septembre 2015), Alain Madelin, cette « haute figure du libéralisme français », a montré qu’il n’avait pas perçu le problème posé par l’Intelligence Artificielle.

Le point de départ de l’article réside dans le constat, dressé par certains économistes, que la révolution numérique – « troisième révolution industrielle », après celle du Néolithique et celle du XIXème siècle – n’entraînerait pas la croissance espérée. En cause, le mode actuel de diffusion de la technologie qui ne permet pas de rémunérer à sa juste valeur le travail produit, et par conséquent, de créer suffisamment d’emplois pour alimenter la croissance.

S’exprimant aux côtés d’Alain Madelin, l’économiste Daniel Cohen, auteur du livre « Le Monde est clos et le Désir infini » (Albin Michel, 2015), expose ses arguments :

L’économie numérique dynamite nos cadres de pensée actuels. Cela porte d’abord sur le travail humain. Au XXème siècle, le progrès technique était complémentaire de l’emploi. L’organisation scientifique du travail constituait une chaîne organiquement intégrée. Du travailleur à la chaîne jusqu’au patron, en passant par les ingénieurs…, chaque catégorie sociale y trouvait une place. Ceci explique d’ailleurs que les inégalités de salaires ne progressaient pas. Aujourd’hui, le progrès numérique se substitue au travail, le robot venant remplacer les emplois. Mais pas n’importe lesquels. Ceux qui se situent au milieu de la chaîne de production regroupant les travailleurs qui possèdent un certain degré de compétences. Bref, les classes moyennes. Ce phénomène, qui contribue au ralentissement de la croissance, peut s’avérer explosif : une classe moyenne attaquée peut déstabiliser l’équilibre politique d’une nation. »

C’est là qu’Alain Madelin vole au secours de l’économie, en indiquant la voie à suivre pour, selon ses termes, « tendre vers une nouvelle société, qui à défaut d’être prospère, serait apaisée ».

 La clé, confie-t-il, c’est l’invention des formes d’emploi et de travail de demain. A la peur des délocalisations s’ajoute aujourd’hui la peur des robots ou de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire, pour beaucoup, la grande peur du déclassement. Là encore, pas de panique. […] Les emplois du futur ne sont pas nécessairement des emplois de livreurs de pizzas, qui seront peut-être remplacés par des drônes, mais des coachs, des décorateurs et tous métiers liés à l’embellissement de la vie. »

Malgré son optimisme sympathique, Alain Madelin semble ne pas réellement comprendre ce que signifie « Intelligence Artificielle ». Le drône qui livre les pizzas sans pilote n’en est qu’une application, au demeurant relativement basique. Mais il y a d’ores et déjà des logiciels qui font office de coachs ou de décorateurs. Ainsi le programme ALICE parvient à simuler, de manière jugée convaincante par certains patients, un entretien avec un psychothérapeute.

La triste réalité, que Monsieur Madelin, à l’instar de beaucoup, se refuse encore à admettre, c’est qu’avec l’Intelligence Artificielle, on n’a plus besoin des humains, point final. Il n’y aura pas de « nouveaux métiers » ni « d’emplois du futur ».

 

17/07/15 – Stuart Russell, un pionnier de l’IA, exprime ses inquiétudes

Dans un article pour le magazine américain Science (édition du 17/07/15), Stuart Russell compare l’Intelligence Artificielle à l’arme atomique. L’une et l’autre invention pourraient selon lui avoir des conséquences désastreuses.

Stuart Russell, chercheur à l’Université de Berkeley, n’est pas un dilettante. C’est une figure très connue et respectée dans le domaine, auteur en 1994 du manuel de référence  « Artificial Intelligence : A Modern Approach ».

Extraits de ses propos (notre traduction) :

Les scénarios catastrophes peuvent être multiples et complexes, allant des entreprises en quête d’un super-avantage technologique, aux Etats cherchant à créer des systèmes IA avant leurs ennemis, ou encore une évolution à petit feu vers une situation de dépendance et d’incapacité comme celle décrite par l’écrivain E.M. Forster dans The Machine Stops (1).

[…] A ceux qui disent : « après tout, il se pourrait que l’on ne parvienne jamais au stade de l’Intelligence Artificielle de niveau humain ou supra-humain », je répondrais que c’est comme foncer à toute allure vers une falaise en se disant « pourvu qu’on tombe bientôt en panne sèche ! »

[…] La réglementation des armes nucléaires concerne des objets et des matières fissiles, alors qu’avec l’IA on a affaire à une multiplicité déconcertante de logiciels qu’il est encore impossible de décrire. A ce que je sache, il n’existe à l’heure actuelle aucun mouvement significatif réclamant une réglementation de l’IA, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des milieux de la recherche, tout simplement parce qu’on ne sait pas comment écrire cette réglementation.

Nous devons nous détourner du cap actuel qui est de créer de l’Intelligence Artificielle pour le plaisir de créer de l’Intelligence Artificielle, sans nous préoccuper des résultats obtenus en chemin et de leurs conséquences.

(1) Dans ce livre de 1909, Forster dépeint un monde post-apocalyptique dans lequel les humains vivent sous terre, dans des cellules isolées, sous la dépendance totale d’une Machine omnipotente. (NDLR)